Cassandre ou les amours blessées

Cassandre ou les amours blessées

Deux des messieurs que notre « femme Extra-Ordinaire »  a côtoyés, sont à l’honneur ces temps-ci : l’un fête ses 500 ans cette année, et le second, dans l’actualité de ces derniers jours, sort des profondeurs d’un sarcophage oublié sous la nef de  Notre-Dame de Paris, comme pour tenter une nouvelle fois de lui voler la vedette. Poètes géniaux de la Renaissance, Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay croisèrent le chemin de Cassandre au détour d’un siècle où progrès technique et artistique riment aussi avec régression sociale, notamment pour les femmes. Un air de déjà-vu dont l’écho semble raisonner encore et toujours un demi-millénaire plus tard !

Au fil des 300 pages qui nous tiennent en haleine jusque tard dans la nuit, la mystérieuse Cassandre nous entraine dans un voyage hors du temps ou plutôt devrais-je dire hors de notre temps pétri de jugements prétentieux et de certitudes à l’emporte-pièce. En nous faisant partager sa vie d’adolescente, et de femme de la Renaissance, à la fois amante blessée et mère inébranlable, elle nous offre plus qu’une compagnie agréable : c’est une leçon de vie, conjuguée à une leçon d’histoire sur les bords de Loire jalonnés  de ses châteaux mythiques, témoins muets d’intrigues légendaires.

Des amours impossibles

Cassandre Salviati, dont le nom est lié au destin des Médicis découvre l’amour lors de sa présentation à la cour, au château de Blois : héritière d’une riche famille de banquiers florentins, elle a tout juste quinze ans et sa beauté n’a d’égale que sa candeur.  Cultivée, passionnée par la vie qui s’ouvre à elle, Cassandre chante et danse devant le roi de France et un parterre de courtisans, au milieu desquels un écuyer au nez aquilin se frôle un chemin : le très célèbre héros de la Pléiade, dont la poésie n’est pas encore reconnue, tombe sous le charme de cette demoiselle et pendant plus de quarante, il ne cessera de la poursuivre de sa flamme : « Je la vis, j’en fus fou ! » confie Pierre de Ronsard à l’un de ses amis. En une petite phrase, il laisse éclater une passion qui va changer le cours du destin d’une jeune fille peu préparée aux jeux de l’amour.

Véritable maître épicurien à qui les épreuves ont déjà enseigné que la vie est très courte et qu’il vaut mieux « cueillir l’instant », Pierre de Ronsard n’oubliera jamais la belle Cassandre, en dépit de ses nombreuses conquêtes. Il en fera sa muse, son égérie, et durant quatre décennies, aux heures de bonheur passionné se succèderont ruptures, réconciliations et scandales. Eperdument épris de sa muse, Ronsard ne s’impose aucune limite pour célébrer celle qu’il aime, ni pour lui dire la violence de ses désirs : aux charmants sonnets dans lesquels il célèbre la beauté de leur sentiment partagé, succèdent les odes et les hymnes chantant sans pudeur la passion de leurs étreintes. Plein de rancœur à l’encontre de celle qu’il aime et qui en a épousé un autre, Ronsard ira encore plus loin dans ses « folastries » érotiques. Cassandre, profondément attristée de voir dévoiler leurs amours sur la place publique, devient alors objet de scandale pour cette société faussement choquée par des vers qu’une molle censure viendra sanctionner.

Eternelle pourvoyeuse d’amour

Le cœur blessé, mais non brisé, Cassandre connaît les tourments de l’amour impossible, mais dans les moments les plus sombres, elle maintient son cap, se préservant des intrigues de cour qui font les délices des mauvaises langues. Lorsque son cœur se déchire en lambeaux, elle demeure assez forte  pour le repriser indéfiniment et le transformer en une source d’amour pour tous ceux qui l’entourent : pour ses parents, pour ses amies Gabrielle et Marie, et surtout sa fille Cassandrette, elle sera éternellement celle qui aime, qui accourt lorsque l’on a besoin d’aide, celle qui protège…

Cassandre traverse le temps qui passe, comme si les guerres politiques et religieuses de son époque ne l’atteignaient pas tout à fait : plus d’une fois, elle aurait eu des raisons de se désespérer d’une époque bien cruelle, mais son regard se tourne invariablement vers la beauté du monde qui l’entoure : beauté de la nature qui ne cesse de renaître au fil des saisons, beauté des êtres qui l’entourent et dont elle ne veut voir que le plus bel angle.

Face à un mari violent, éternellement jaloux du poète tonsuré que les codes de la Renaissance éloignent d’elle, Cassandre se consacre à sa fille et transforme la vie de cauchemar que son père veut leur imposer en un quotidien éclatant. Aux contacts de sa mère, Cassandrette découvre le monde de la Renaissance dans sa plus belle facette, celui des arts, des lettres et d’une nature rendue plus douce par un climat agréable. Elle reste protégée des affres de la guerre et des intrigues de cour, mais à l’école de Cassandre, elle devient une femme avertie sur les limites de son temps, notamment marqué par une régression sociale des femmes.

« Les amours blessées » ne sont pas tout à fait une biographie, et pourtant c’est véritablement le destin d’une femme extraordinaire que nous partageons le temps du voyage qui la mène au chevet de son petit fils blessé. Sans concession, elle nous emporte au cœur des tourmentes de la Renaissance, et nous livre en confidence, son regard porté sur une époque dont nous peinons dessiner les contours : époque aux découvertes extraordinaires mais aussi théâtre de régressions sociales révoltantes et de guerres dévastatrices, ce siècle semble étonnamment moderne…, à moins que ce ne soit nous qui ne soyons pas capables de tirer les leçons de l’histoire, et qu’invariablement, nous ne tournions en rond sur une terre malmenée par nos caprices d’enfants gâtés :

«Dieu, Quand j’y songe, quel siècle est le nôtre ! Quelle époque de fureur et de confusion ! Mais aussi combien déconcertante… Elle vit s’élever des constructions admirables, enfanta de grands artistes, assista à la naissance de mondes nouveaux, mais ne cessa de mêler le bruit des batailles, les cris des victimes, les hurlements des meurtriers à tant de beauté et de grâce ! Jamais le raffinement et le luxe ne furent aussi prisés, jamais les dissensions et le mépris de la vie d’autrui ne furent poussés à ce point…»

Un peu plus tôt dans ses confidences, Cassandre, amère face au mari brutal qu’elle a été contrainte d’épouser, nous rappelle qu’invariablement la condition féminine connaît progrès et régression. Sans doute serait-elle profondément choquée de notre politiquement correct qui renvoie l’époque médiévale à des temps obscurs et barbares… Quel serait son regard aujourd’hui?

« Nous avons perdu, nous autres femmes, les acquis des siècles précédents et nous voici revenues aux temps où triomphait la loi romaine. Loi virile et impitoyable envers notre sexe… , qui nous frustre des avantages du droit coutumier cher à nos ancêtres. On parle à présent de nous retirer la possibilité de pratiquer les mêmes métiers que les hommes, ce qui était admis autrefois, et d’exercer quelque fonction que ce soit dans l’Etat. Que nous restera-t-il ? Notre amertume. Qu’y pouvons-nous ? Rien. En faisant de nous d’éternelles mineures, on nous a désarmées afin de mieux nous soumettre »…

Révoltée et rageuse lorsqu’elle se voit privée du droit de vote et des autres libertés que le Moyen-âge avait accordées aux femmes (n’en déplaise à certains ouvrages du XXIème siècle, bien mal nommés « manuels d’histoire » !) Cassandre n’en reste pas moins une femme étonnante, maîtresse de son destin en dépit des contraintes extérieures, ayant su s’attacher à la beauté des êtres et des choses pour invariablement se relever. Passer quelques heures en sa compagnie, c’est expérimenter une excursion hors du temps où se mêlent douceur et douleur, à quelques pas de celui qui la priait : « Mignonne, allons voir si la rose… »

 

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